Inconfort et liberté

« Discomfort is a temporary and a necessary part of transformation » Dr Nicole Lepera

La douche froide 

J’aime bien expérimenter des méthodes sur moi. Il y a 6 mois, pendant 4 semaines consécutives, j’ai pris exclusivement des douches froides, et c’était dur. J’ai troqué une douche chaude, réconfortante, un vrai moment de douceur contre une expérience quotidienne pénible, inconfortable, bruyante et stressante. Le moment douche est devenu une source d’appréhension, et je ne compte pas le nombre de longues minutes passées face au miroir dans une intense discussion entre moi et moi, énumérant toutes les bonnes raisons pour ne pas mettre l’eau froide cette fois ci, ou pour ne pas prendre de douche tout court.

Plusieurs méthodes holistiques font l’éloge des douches froides (notamment la méthode Wim Hof) en s’appuyant sur des études. L’exposition au froid serait la source d’une multitude de bienfaits sur le court mais aussi sur le plus long terme : une peau plus ferme et hydratée, des cheveux fortifiés, une régulation du stress et une sensation de bien être qui dure plusieurs heures après la douche, une réduction des inflammations, une métabolisation de graisse brune favorisant la perte de poids, … (pour en savoir plus, voici les ressources mise à disposition sur le site de la méthode Wim Hof : https://www.wimhofmethod.com/benefits#dynamic-page-section4)

Pendant mon expérience personnelle, j’ai vu une différence sur certains des points mentionnés ci-dessus, mais ce n’est pas cela qui m’a poussé à faire cette expérimentation. J’ai choisi de faire des économies d’eau chaude (et d’eau tout court) pendant 4 semaines pour découvrir « The Flinch ».

« The Flinch » (concept introduit dans le livre éponyme de Julien Smith) désigne le dialogue mental qui émerge dans les moments qui précèdent quelques choses qu’on redoute de faire (une douche froide, une présentation en public, un footing, un premier rencard…). Durant cet instant juste avant de sauter le pas, le mental déploie toutes les stratégies du monde pour s’auto convaincre de ne pas accomplir cette tache. 

Partant pour une douche froide ? Capturé par Jorge Fernandez

Partant pour une douche froide ? Capturé par Jorge Fernandez

Lorsqu’on arrive à prendre du recul, cela devient amusant d’observer tous les stratagèmes que peut déployer l’esprit pour éviter cette douche froide. Par exemple : “est-ce qu’on a vraiment besoin de prendre une douche tous les jours ?”, “tiède, ça passe non ?”, “je vais pas me doucher maintenant, je fais du yoga dans 2h et je vais être sale à nouveau” …

Finalement, prendre conscience de ces mécanismes permet de mieux les comprendre pour mieux les dépasser. Cela s’applique aux douches froides mais aussi aux autres défis qui jalonnent la vie. C’est là que cette expérimentation prend de la profondeur, la douche froide devient la métaphore de tous les défis qui peuvent se dresser devant nous.

Généralement, face à ces défis, le mental est conditionné par défaut à choisir l’option la plus confortable (à noter que ce qui est confortable pour une personne ne l’est pas forcément pour les autres). Mais si on est terrifié par l’inconfort au point de l’éviter systématiquement, sommes nous encore vraiment libre de nos choix ?

Pourquoi sortir de sa « zone de confort » ?

La zone de confort, c’est cette limite qui sépare les options qu’on a à disposition lors d’un choix. Face à un choix, soit on reste dans sa zone de confort en prenant une option qui demande peu d’effort, soit on sort de la zone en prenant une option plus pénible et en pariant sur le fait que cette option portera ses fruits pour notre épanouissement. La zone de confort n’est pas une limite nette, pour chaque choix, il existe une infinité de décision possible qui se place sur un continuum de confort et d’inconfort :

Confortable.jpg

Il y a deux éléments à noter :

  • Certains choix ne disposent pas d’option “confortable” et obligeront donc une personne à sortir de sa zone de confort quelle que soit la décision prise

  • Dans certains cas, la meilleure option est également la plus confortable. Dans ce cas, pas la peine de rechercher l’inconfort absolument (Pourquoi se faire d’avantage violence ?)

D’autre part, chaque jour se compose de milliers de choix à faire et de décisions qu’on effectue inconsciemment. Par défaut, c’est souvent notre environnement et nos habitudes qui décident. C’est pourquoi il est crucial de déconstruire et d’aligner les habitudes qui composent la zone de confort avec les objectifs qu’on a (parce que la volonté et la force mental ne suffisent pas sur le long terme). Sur ce sujet, je vous conseille le livre de James CLEAR « Atomic Habits » (j’écrirai sans doute un article au sujet des habitudes et de l’environnement prochainement).

Note : La zone de confort est hautement subjective et évolue constamment en fonction des expériences de chacun. Une personne pourra avoir horreur des moments en groupe tandis ce qu’une autre sera terrifiée à l’idée de se retrouver complètement seule. Il n’y a pas de mieux et moins bien, il n’y a pas de supériorité des uns sur les autres, juste des chemins différents.

On croise fréquemment les injonctions à sortir de sa zone de confort accompagnées d’illustration du type :

Confortable-2.jpg

Bien que ces illustrations soient suffisamment simples et universelles pour parler à tous le monde, elles ne répondent pas à la question sous jacente du « pourquoi faire ? ».

Il y a un peu tout et n’importe quoi dans la zone de confort. Des comportements géniaux qui nous porte vers nos objectifs, mais aussi des habitudes inconscientes qu’on déteste, qui s’immiscent dans notre quotidien parce qu’elle sont plus simples mais pas vraiment vertueuses. 

La zone de confort est remplie de nos stratégies de repli utilisées systématiquement dès qu’on est face à une difficulté ou dès qu’il y a de l’enjeu. Et je le répète, c’est une notion hautement subjective. Pour une personne faire un footing ou une séance de musculation ne demandera aucun effort mental (ce qui ne fait pas de lui un être supérieur). Peut être que pour cette même personne, l’inconfort se situe dans l’engagement émotionnel avec une personne aimée.

Mais cette zone de confort, quelle qu’elle soit, peut se dresser entre l’individu et ses aspirations, et c’est pour cela qu’il faut parfois la dépasser pour le meilleur. Dès lors, aller à l’encontre de ce qui est inconfortable devient une capacité cruciale à cultiver pour accomplir ses objectifs. Sortir de sa zone de confort est un muscle qui s’entraîne. Plus on sort souvent de SA zone de confort, plus on est capable d’en sortir facilement.

Savoir s’écouter

Cela dit, l’envie d’évoluer et de se débarrasser des schémas qui polluent la vie peut devenir une obsession quotidienne. C’est incroyablement gratifiant de s’émanciper de ses anciennes tendances mais ce processus a un coût non négligeable. Il faut se projeter sur le long terme en gardant en tête que le repos et la récupération font partie intégrante du processus. Le quotidien doit aussi être composé de moments de douceur durant lesquels on se laisse porter sans chercher le dépassement. 

Ne pas s’épuiser : C’est notamment une réflexion que je me suis fait à plusieurs reprises en lisant le livre de « Can’t Hurt me » de David Goggins. L’auteur a construit sa vie autour du dépassement de soi pour découvrir ses limites et au delà. Son témoignage est inspirant, il illustre le potentiel du corps et de l’esprit ainsi que la capacité de transformation de chacun. Mais son expérience interpelle sur la pérennité ou la durabilité de ce genre de comportement ascétique à long terme. Dans cette volonté de dépassement, il faut savoir écouter et reconnaître les signaux pour éviter l’épuisement.

Il faut savoir distinguer les différences entre la résistance face à l’inconfort et les signaux de fatigue et d’épuisement que peut envoyer le corps. Mais cette distinction demande de vraiment se connaître et d’être à l’écoute.

Capturé par Cristian Newman

Capturé par Cristian Newman

Le changement et l’inconfort qui l’accompagne ont un coût, et certains jours ce coût peut être trop important. Durant ces jours, c’est ok de prendre un moment de repli, de se reposer et d’être en phase avec le fait que ce repos est nécessaire.

Rappelons également que le dépassement de ce qui est confortable est quelque chose de personnel. C’est un choix interne visant une évolution intrinsèque. Autrement dit, on le fait pour soi et non pas pour impressionner l’entourage (proche et virtuel). Certes, lorsqu’on évolue et qu’on se dépasse de manière répétée sur plusieurs années cela peut aboutir à des résultats exceptionnels qui peuvent attirer l’admiration de l’entourage. Mais cette admiration ne doit pas être la motivation principale et lorsque l’égo n’est plus de la partie, c’est plus facile d’être à l’écoute et de se reposer quand cela est nécessaire.

Un contrat entre soi et soi

Ce qui est confortable pour moi ne l’est pas pour vous. Parfois même, ce qui est au centre du confort pour vous est à l’extrême opposé pour moi. C’est pourquoi je n’ai pas la capacité de dire ce qu’il faut faire, et c’est d’ailleurs ce qui est passionnant sur ce sujet : Chaque personne aura un parcours différent, et des défis qui lui sont propres. Cela dit, la douche froide est quasi unanimement un bon exercice pour se découvrir ;)

Mais quel que soit le chemin, se dépasser et accomplir quelque chose de difficile pour soi, rend fier. Ce comportement contribue à rendre plus confiants, plus centrés, plus authentiques. De l’extérieur, rien ne change, mais à l’intérieur on devient plus brillant, plus intense, et rassuré sur cette capacité à donner le meilleur de soi lorsque cela est nécessaire ou important, et ce malgré les obstacles matériels et immatériels qui pourraient se dresser.

A nouveau, il ne s’agit pas d’impressionner autrui ou d’exceller dans un domaine, c’est un contrat entre soi et soi. Et parce que toutes ces notions sont subjectives, vous êtes votre propre juge.

Choisir l’inconfort, c’est choisir de lutter au lieu de fuir devant la masse d’obstacles qui peut se dresser. Apprivoiser l’inconfort, c’est être libre de choisir l’option qui vous fera grandir, parce que la plupart des interdictions auxquelles on fait face sont le fruit de nos peurs : la peur d’avoir froid, la peur d’être rejeté, la peur d’avoir tort, la peur de mourir…

Si vous n’aviez pas peur, que feriez vous ?


S’autoriser à être libre

Finalement, adopter une pratique qui oblige à se confronter à des situations inconfortables régulièrement permet de se conditionner à ne pas avoir peur de cet inconfort. En cela, on est en mesure de choisir de manière plus neutre entre nos différentes options. L’idée n’est pas de choisir systématiquement l’option la plus dure comme l’a fait David Goggins (vous n’avez rien a prouver), mais de choisir ce qui résonne le plus par rapport à vos objectifs, que ce soit confortable ou pas. L’idée est d’être en mesure de choisir une option qui fait peur quand cela en vaut la peine.

Et choisir en conscience parmi les toutes les options qui s’offre à vous, c’est s’autoriser à être un peu plus libre. 

S’habituer à l’inconfort n’est pas une fin en soi, ça n’est pas un besoin primordiale ou un objectif de vie, uniquement un outil pour être plus libre de choisir vraiment parmi toutes les options qui se dessinent. L’important n’est pas de prendre des douches froides, ou de faire des pompes, l’important est d’être en mesure d’accomplir ce qui est précieux sans faire de compromis.

Capturé par Pietro de Grandi

Capturé par Pietro de Grandi



Source :

« Can’t hurt me » Dave Goggins

L’autobiographie d’un homme qui a dédié sa vie a sa transformation en se mettant dans des situations profondément inconfortables et comment il est passé de travailleur de nuit dans une entreprise d’extermination en surpoids, à ultra-marathonien et conférencier mondialement connu

« The war of art » Stevens Pressfield

Dans ce livre, Stevens Pressfield, romancier, personnifie les obstacles qui empêchent de suivre sa vocation dans ce qu’il appelle « la résistance ». Il énumère toutes les manières dont cette résistance peut se manifester, et comment lui faire face. Si on fait abstraction des références religieuses, c’est un livre court et bien écrit qui présente une synthèse des obstacles immatériels et matériels entre un créateur et sa création.

« Atomic Habbit » James Clear

Un guide complet et clair pour faire évoluer ses habitudes. Comment une habitude se met en place, à quoi elle sert et comment organiser son environnement pour basculer de cercles vicieux vers des cercles vertueux.

« How to do the work » Dr Nicole LePera

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