Mouvement et émotions

On bouge tous et tout le temps : Pour manger, parler, aller faire ses courses, se baisser, courir, peindre ... Pourtant, si le mouvement est universel à tous, il se résume souvent à quelque chose de pratique, efficace et inconscient. Bouger est incontournable pour répondre tous nos besoins et toutes nos envies.

Heureusement, notre cerveau a créé des patterns pour que la réalisation de la grande majorité de nos tâches quotidiennes se fasse de manière automatique et inconsciente. C’est cela qui permet par exemple de se concentrer pleinement sur une conversation tout en marchant en même temps, sans avoir à constamment se dire « jambe droite, okay… jambe gauche, ah c’est bon… Jambe droite … »

Finalement, le mouvement est une pièce tellement centrale de notre vie qu’on arrivera sans trop de difficulté à répondre clairement à la question : « Pourquoi ? » on bouge. En revanche, en raison de son caractère inconscient et automatique, il est beaucoup plus rare qu’on se place comme observateur de nous même afin de répondre à l’autre question  : « Comment ? » on bouge. 

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Pourtant, par notre comportement corporelle on transmet une multitude de messages complexes et variés qui viennent compléter ou nuancer ce que l’on dit. Notre manière de bouger vient renforcer notre identité interne et l’image projetée à notre entourage. Quoi qu’on fasse, le corps exprime quelque chose, même lorsqu’on se tient immobile.

Et ce qu’on exprime par le corps est ni anodin, ni négligeable. Comme l’a écrit Johan Hari dans son livre Lost Connection « We’ve been animal that move for a lot longer than we’ve been animals that talk and convey concept ». Quant il s’agit d’exprimer comment on se sent, c’est au langage corporel qu’on est le plus sensible (Source 1).

Bien au delà d’une simple préoccupation esthétique, « Comment ? » on bouge est influencé par les émotions qui nous traverse mais influence aussi les émotions qu’on partage et peut être même les émotions qu’on ressent.


Une palette de mouvement pour une émotion

Observer la manière générale dont on bouge permet de comprendre une part significative des émotions et des messages inconscients qu’on diffuse à notre entourage. Une émotion s’accompagne de tout un vocabulaire corporel spécifique.

Plus on a tendance à bouger d’une manière prédéfinie et marquée, plus ce mode de mouvement par défaut devient une partie intégrante de notre identité (à la fois pour nous et pour les autres). 

J’ai essayé d’illustrer certaines émotions les plus communes à travers des manières de se mouvoir caractéristiques et aussi en utilisant des vidéos de danse qui exagèrent volontairement les subtilités des mouvements pour rendre les messages plus visibles. Dans ces vidéos, aucun mot n’est dit et pourtant l’émotion est palpable :

  • La Colère : La colère s’exprime par des saccades, des brusqueries, des crispations ou encore des sauts. Les mouvements sont jetés, frappés, lourds, et parfois maladroits. Pour illustrer cette émotion j’ai choisi la vidéo d’une démonstration de Krump par le créateur de cette danse, Tight Eyez. C’est une danse contemporaine créée spécifiquement pour exprimer la frustration et la colère des afro-américains face au racisme systémique aux Etat-Unis.

  • La Peur : Pour exprimer la peur, on a souvent des mouvements courts, discrets, qui s’interrompent au milieu de leurs courses pour revenir en arrière. La peur peut se caractériser par une tendance à opérer uniquement dans un espace très restreint autour de soi. Cette impression de peur de ce qui est à l’extérieur est palpable dans cet extrait de danse contemporaine issue de l’université de Toronto.

  • La Décontraction et la joie : C’est la détente et le relâchement musculaire qui est à l’honneur. Les mouvements sont fluides, ondulés, les postures sont relâchées en apparence, il y a un certain lâché prise dans le mouvement. Keone et Mariel Madrid illustrent très bien cette décontraction dans cette danse.

  • La Mélancolie et la tristesse : La mélancolie s’exprime par des mouvement doux, mesuré, centré sur soi. Ici, la prestation d’Antony Lee et Vinh Nguyen valent tous les mots.

Evidemment la réalité est plus complexe et nuancée, mais cela permet d’installer des repères sur le spectre de ce qu’on peut communiquer par le mouvement. Prendre conscience de la manière dont on bouge, c’est comprendre les messages implicites qu’on transmet autour de nous, et peut parfois expliquer certaines situations qui se répètent dans nos relations.

L’influence du mouvement sur nos émotions

Et si, au delà d’exprimer notre état intérieur, le mouvement avait aussi une influence sur les émotions qu’on ressent. Le sourire, lorsqu’il est sincère, renforce notre sentiment de  bien être et de bonheur tandis que froncer les sourcil provoque l’effet inverse. (Source 2).

Cet effet pourrait être lié à l’entourage. En interpretant les messages qui accompagnent le comportement corporel, l’entourage renvoi une réponse qui va se répercuter sur la manière dont on se sent. C’est un effet extrinsèque de confirmation.

Mais j’ai la conviction que le corps a une influence intrinsèque sur les émotions et que cet effet de rétroaction peut s’élargir à l’ensemble des mouvements qu’on réalise. Chaque geste a une influence infime sur nos émotions, et l’accumulation de ces gestes et donc de ces influences finit par peser sur la balance de notre état intérieur. 

Sans être une solution complète et parfaite, s’observer bouger et adopter des tendances plus douces, plus sereines et plus bienveillantes pourrait avoir des répercussions positives importantes sur la vie de chacun. Progressivement, à l’échelle des années, « Comment on bouge » devient « Comment on se sent » ! 

Capturé par Ahmad Odeh

Capturé par Ahmad Odeh


Un miroir pour les autres

Lorsqu’on entre pour la premiere fois dans un studio de danse, on est frappé par un cocktail d’émotions variées. Toutes ces personnes qui dansent et cherchent à trouver le mouvement juste crée une atmosphère étrange, hors du temps, complètement en décalage avec le monde extérieur. C’est aussi extrêmement apaisant et satisfaisant d’observer ces corps bouger au rythme de la musique dans une chorégraphie visant à transmettre quelque chose.

La manière dont les personnes bougent autour de nous influence notre propre manière de bouger. Et réciproquement, notre manière de bouger influence celles des autres. Par effet miroir (source 3) on se voit bouger à travers l’autre et on imite son comportement.

Faire le choix de bouger avec douceur, avec grâce, c’est proposer un autre mode de fonctionnement aux personnes qui nous entourent, de manière discrète et non intrusive.

Capturé par Ahmad Odeh

Capturé par Ahmad Odeh

Finalement, s’observer bouger, découvrir le fonctionnement de son corps, trouver les subtilités en dissociant les zones, est une pratique qui demande de la patience. Il n’y a pas d’autre but à cela que celui d’avoir une conversation riche avec soi même

Si cette perspective vous séduit, il est toujours temps d’appendre à se connaitre et il existe plusieurs chemins. Le yoga par exemple, est une pratique centrée sur l’observation de soi. La danse quant à elle vise à exprimer et extérioriser des sentiments cachés à l’intérieur. Mais toute pratique physique, avec la bonne intention, peut devenir un terrain propice à se découvrir.

Source : 

1. Sensibilité au langage corporel :

2. Effet du sourire :

3. Effet miroir des émotions :

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Inconfort et liberté